ANTOINE VAN IMPE (BE) - CAPTIVE BREEDING, 2015
"On boit le thé pour oublier le bruit du monde."
Lu Yu, Maître de thé sous la dynastie Tang (618-907)
Une distinction s’impose d’emblée afin d’appréhender l’oeuvre d’Antoine Van Impe: celle, fondamentale qui existe entre ironie et cynisme. Il s’agit de ne pas confondre le sourire en coin de Van Impe avec le rictus froid que nous donnent à voir certaines oeuvres contemporaines. Son regard est empreint de compassion, la dérision se positionnant ici en porte-à-faux vis-à-vis de l’ordre communément accepté des choses. Invitation à l’exploration de chemins de traverse, de parcours accidentés, de dédales jonchés de pièges-surprises, d’objets davantage contournés que détournés. Ses marteaux à manches recourbés, évidemment inutilisables comme outils, deviennent une invitation à repenser la fonction des objets usuels, métaphores de notre usage du monde.
Que ce soit en nous conviant à prendre le thé en sa compagnie dans un musée où il expose ou en proposant aux habitants d’une commune de diffuser des messages par le biais de hauts parleurs disposés sur la place publique, Antoine Van Impe nous invite à une trêve. À une respiration, à un oubli temporaire et restructurant du tumulte du monde. À la manière du maître Zen qui assène un coup de bâton sur la tête de ses disciples ou qui éclate de rire en guise de réponse à leurs questions, Van Impe met en évidence l’étroitesse des limites d’une pensée trop rationnelle et remet ainsi à l’ordre du jour l’acte gratuit comme acte essentiel.
Si, on s’en serait douté, l’artiste ne nous exhorte pas à prendre telle ou telle direction, son travail nous indique cependant et toujours en filigrane que tout chemin qui vaille la peine d’être emprunté ne peut être que tortueux, poétique et parsemé de nids de poules.
De la création d’un mur télécommandé qui incarnerait à la fois une course éperdue et la promesse d’une collision paradoxale, impossible, à l’introduction de motifs fauves sur les panneaux de signalisation et barrières routières... Comme pour s'échapper d’une culture balisée, normative qui aurait, en la figeant, la fétichisant - la rendant dès lors anecdotique - omis de prendre en compte notre dimension sauvage, animale. Van Impe se joue du vivant balisé, du tribal digéré, mécanisé, de l’être méthodiquement réduit à sa fonction dans la société productiviste.
La spontanéité perdue du monde qui reviendrait comme un éclat de rire jaune et noir, mordant, tacheté comme le pelage d’un grand fauve en voie de disparition.
Les croche-pieds spirituels de Van Impe sont autant d’appels au désordre, non celui d’une anarchie stérile mais ontologique, expérimentale. Au contact et à l’épreuve des choses, et dont on pourrait dire à l’instar de Pierre Desproges à propos des textes de Georges Brassens, qu’ils sont “un vaccin contre la connerie”.
Yannick Franck
Lu Yu, Maître de thé sous la dynastie Tang (618-907)
Une distinction s’impose d’emblée afin d’appréhender l’oeuvre d’Antoine Van Impe: celle, fondamentale qui existe entre ironie et cynisme. Il s’agit de ne pas confondre le sourire en coin de Van Impe avec le rictus froid que nous donnent à voir certaines oeuvres contemporaines. Son regard est empreint de compassion, la dérision se positionnant ici en porte-à-faux vis-à-vis de l’ordre communément accepté des choses. Invitation à l’exploration de chemins de traverse, de parcours accidentés, de dédales jonchés de pièges-surprises, d’objets davantage contournés que détournés. Ses marteaux à manches recourbés, évidemment inutilisables comme outils, deviennent une invitation à repenser la fonction des objets usuels, métaphores de notre usage du monde.
Que ce soit en nous conviant à prendre le thé en sa compagnie dans un musée où il expose ou en proposant aux habitants d’une commune de diffuser des messages par le biais de hauts parleurs disposés sur la place publique, Antoine Van Impe nous invite à une trêve. À une respiration, à un oubli temporaire et restructurant du tumulte du monde. À la manière du maître Zen qui assène un coup de bâton sur la tête de ses disciples ou qui éclate de rire en guise de réponse à leurs questions, Van Impe met en évidence l’étroitesse des limites d’une pensée trop rationnelle et remet ainsi à l’ordre du jour l’acte gratuit comme acte essentiel.
Si, on s’en serait douté, l’artiste ne nous exhorte pas à prendre telle ou telle direction, son travail nous indique cependant et toujours en filigrane que tout chemin qui vaille la peine d’être emprunté ne peut être que tortueux, poétique et parsemé de nids de poules.
De la création d’un mur télécommandé qui incarnerait à la fois une course éperdue et la promesse d’une collision paradoxale, impossible, à l’introduction de motifs fauves sur les panneaux de signalisation et barrières routières... Comme pour s'échapper d’une culture balisée, normative qui aurait, en la figeant, la fétichisant - la rendant dès lors anecdotique - omis de prendre en compte notre dimension sauvage, animale. Van Impe se joue du vivant balisé, du tribal digéré, mécanisé, de l’être méthodiquement réduit à sa fonction dans la société productiviste.
La spontanéité perdue du monde qui reviendrait comme un éclat de rire jaune et noir, mordant, tacheté comme le pelage d’un grand fauve en voie de disparition.
Les croche-pieds spirituels de Van Impe sont autant d’appels au désordre, non celui d’une anarchie stérile mais ontologique, expérimentale. Au contact et à l’épreuve des choses, et dont on pourrait dire à l’instar de Pierre Desproges à propos des textes de Georges Brassens, qu’ils sont “un vaccin contre la connerie”.
Yannick Franck